1er juillet 1962 : quand le Mali défiait le franc CFA pour affirmer sa souveraineté

1er juillet 1962 : quand le Mali défiait le franc CFA pour affirmer sa souveraineté

Bamako, 1er juillet 2025 – Il y a 63 ans, le Mali tournait le dos à l’un des symboles les plus puissants de l’héritage colonial : le franc CFA. Le 1er juillet 1962, sous l’impulsion du président Modibo Keïta, le pays adopte sa propre monnaie nationale, le franc malien. Une décision hautement politique, qui allait bousculer les équilibres internes et provoquer des remous jusqu’au-delà des frontières.

Un acte d’indépendance monétaire

Dans un contexte postindépendance encore marqué par l’influence française, cette décision allait à contre-courant des accords coloniaux. Le huitième point des douze accords proposés par la France à ses anciennes colonies imposait en effet l’usage du franc CFA comme monnaie commune. En créant le franc malien, le Mali faisait un pas symbolique et stratégique vers une pleine souveraineté économique.

La monnaie, rappelons le, n’est pas qu’un simple outil de transaction : elle est aussi une unité de compte et une réserve de valeur, participant pleinement à l’autonomie politique et économique d’un État. « Un pays qui dépend d’un autre pour sa monnaie ne peut être véritablement indépendant », affirmait alors le régime de Modibo Keïta, décidé à tracer une voie singulière.

Tensions internes et rejet populaire

Mais l’ambition se heurte rapidement à la réalité. Dès son lancement, la nouvelle monnaie suscite la méfiance. Les Maliens, redoutant une dévaluation, préfèrent conserver leurs francs CFA pour commercer avec les pays voisins. Le gouvernement réagit fermement : interdiction de conversion, arrestations, et même emprisonnements pour ceux qui refusent le franc malien.

Des protestations éclatent dès la fin juillet 1962. Plusieurs figures politiques et économiques de premier plan comme Fily Dabo Sissoko, Hamadoun Dicko ou encore Maraba Kassoum Touré sont arrêtées. L’instabilité gagne du terrain. En 1967, le franc malien est dévalué de 50 %, signe des difficultés économiques croissantes.

Isolement diplomatique et retour forcé au franc CFA

Sur le plan international, la France, ancienne puissance coloniale, voit d’un très mauvais œil cette sortie du système CFA. Craignant un effet domino, elle entreprend de saboter l’économie malienne par tous les moyens, contribuant à l’isolement du pays sur la scène régionale.

Sous pression, Bamako engage des négociations pour réintégrer la zone monétaire du franc CFA. Mais le processus sera brutalement interrompu par le coup d’État du 19 novembre 1968, qui met fin au régime de Modibo Keïta. Ce n’est que le 1er juillet 1984 que le Mali réintègre officiellement la zone CFA, refermant ainsi une page ambitieuse mais tourmentée de son histoire monétaire.

Une mémoire encore vive

Aujourd’hui, alors que les débats sur la souveraineté monétaire refont surface dans plusieurs pays africains, la date du 1er juillet 1962 reste un marqueur fort. Elle rappelle que la monnaie est bien plus qu’un outil économique : elle est un levier de pouvoir, de choix politiques, et parfois, un catalyseur de bouleversements.

Stella S.

Awa TOURE

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